Cancer, transformer notre système de soins en système de santé

Franck CHAUVIN, Président du Haut Conseil de la Santé Publique

Comment la France a répondu à la singularité du cancer par une singularité politique avec des politiques spécifiques et une singularité des organisations.

« Depuis la mise en place du 1er Plan cancer, les choses ont bien changé dans la prise en charge du cancer. Comment garantir à tous un accès équitable aux soins ? Comment organiser un parcours humanisé pour les malades ? Comment les sciences sociales peuvent contribuer à la compréhension et à l’élaboration des politiques de lutte contre le cancer ? », interroge Stéphanie Chevrel, Présidente de l’Observatoire de l’Information Santé, modérateur du débat organisé au Centre de Sociologie des Organisations de Sciences Po et du CNRS sur la place des sciences sociales dans les politiques de lutte contre le cancer à l’occasion de la sortie de l’ouvrage « Les politiques de lutte contre le cancer en France » aux presses EHESP. 

Franck Chauvin, Président du Haut Conseil de la Santé Publique a participé à l’élaboration du Plan cancer 3 et au rapport sur l’an 2 de la démocratie sanitaire avec Claire Compagnon. Ses domaines de prédilection ? La prévention et l’éducation thérapeutique. Il est oncologue, professeur de santé publique et vice-président de la Ligue contre le cancer. 

Répondre à la singularité d’une maladie par une singularité des organisations pose la question de leur efficacité comme levier de l’action publique
« Ce livre extrêmement intéressant propose un voyage à travers les dix dernières années de structuration de politiques de lutte contre le cancer. J’invite tout le monde à le lire car, même si à chaque chapitre nous voudrions en savoir plus, il est une somme importante d’informations. L’ouvrage pose deux questions essentielles : existe-t-il une singularité avec le cancer ? La réponse, en France comme dans d’autres pays, a été plutôt oui, au point de répondre à la singularité d’une maladie par une singularité politique avec des politiques spécifiques et une singularité des organisations. En termes d’analyse sociologique, cela amène une seconde question : peut-on répondre par des organisations à un problème de santé publique ? En France, la réponse est oui car sans organisation, nous avons l’impression de ne rien faire ! La question à se poser est donc de savoir si l’organisation mise en place est un levier de l’action publique ou pas et si un changement de l’action politique n’est pas à envisager pour l’avenir ».

Les Réunions de Concertation Pluridisciplinaire (RCP), une avancée permise par les sciences sociales
« Les sciences sociales ont permis de nombreuses avancées dans les politiques de lutte contre le cancer. La première est la mise en place des Réunions de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) lors des premiers Plans cancer qui sont un changement fondamental dans l’exercice médical. Ces réunions ont permis de passer du fameux colloque singulier entre un patient et un médecin à un colloque collectif où le patient est pris en charge dans son parcours par différents acteurs. Les RCP sont aujourd’hui ancrées dans la pratique médicale et d’autres spécialités se sont emparées de ce type d’organisation. Le colloque singulier recule dans la pratique médicale ».

Vers la reconnaissance du savoir expérientiel des patients ?
« Lors de l’élaboration des recommandations pour le troisième Plan cancer 3, nous avons essayé avec le Professeur Jean-Paul Vernant et Stéphane Paul (IGAS) de forcer la place du patient dans le système. Le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), chargé de l’évaluation du Plan cancer 3, va analyser s’il est possible d’adjoindre à un savoir technique et à l’expertise des médecins, le savoir expérientiel des patients ».

L’Etat utilise le milieu associatif et non ses outils habituels pour mener les campagnes de dépistage et de prévention
Un chapitre entier du livre « Les politiques de lutte contre le cancer en France », à l’origine du débat de ce jour, est consacré au dépistage du cancer colorectal. « Il pose la question de l’approche égalitariste de la France dans cette action publique qui va à l’encontre de toutes les préconisations pour lutter contre les inégalités sociales de santé. Ce principe égalitariste, cette réponse organisationnelle plutôt que fonctionnelle, ne permet probablement pas de résoudre la problématique du dépistage en France, les sciences humaines et sociales doivent nous aider à y répondre. Alors, comment agir pour répondre aux grands enjeux ? Si les associations en charge du dépistage devraient mutualiser certaines ressources, l’ouvrage ne pose pas la question de l’utilisation par l’Etat des associations pour mener ce type d’action. Il est assez mystérieux que, notamment dans le champ de la prévention et du dépistage, l’Etat n’utilise pas ses outils habituels mais le milieu associatif dont on sait qu’il est extrêmement précarisé. Comment se fait-il que dans notre pays, le soin soit sanctuarisé pour précariser la prévention à travers les associations. Une réelle réflexion sociologique s’impose ».

Les plans Cancer auront été à la fois l’occasion de mieux structurer le milieu associatif et à la fois de l’émietter
En ce qui concerne la précarité des associations, Stéphanie Chevrel indique avoir contacté France Colon, seule association dans cette pathologie, pour préparer ce débat qui lui a indiqué avoir stoppé ses activités faute de moyens humains. « On observe en effet que les plans cancer auront probablement été à la fois l’occasion de structurer le milieu associatif et à la fois de l’émietter. Ils ont déclenché un double phénomène, d’un côté la création de très nombreuses associations dans le domaine du cancer et de l’autre, un émiettement de leurs actions. Paradoxalement, plus la lumière est mise sur cette pathologie et plus l’incitation est forte pour créer des associations, et plus leurs actions se dispersent, ce qui n’est pas du tout le cas dans d’autres pays où les associations sont extrêmement fortes, c’est frappant en Angleterre ou dans les pays d’Europe du Nord ! »

La gestion de l’innovation avec le prix des médicaments pose un énorme problème d’organisation de la société
« En France, pour certaines pathologies en cancérologie, une année de vie gagnée correspond à l’intégralité du revenu de trois ménages, soit un an de traitement pour certains patients. Jusqu’où va-t-on pouvoir aller et jusqu’à quand ? Comment trouver une réponse démocratique à cette question ? Par ailleurs, comment s’emparer et traiter le problème des inégalités de santé ? Dans une Tribune du Journal du Dimanche, 18 maires de France ont récemment alerté sur les inégalités sociales de santé intolérables de notre pays. Enfin, comment transformer un système de soins en système de santé en développant la prévention ? Les sciences sociales et les sciences humaines doivent nous aider à répondre à toutes ces questions ».

Stéphanie Chevrel.

Invités du débat : Thierry Breton, directeur général de l’Institut National du Cancer (INCa), Franck Chauvin, Président du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), Emmanuel Jammes, Délégué Société et Politiques de Santé à la Ligue contre le cancer & Patrick Castel, sociologue au Centre de Sociologie des Organisations Sciences Po - CNRS et co-auteur de l’ouvrage  « Politiques du cancer, que peut apporter la sociologie ? » avec Audrey Vézian et Pierre-André Juven.

Modératrice : Stéphanie Chevrel, Présidente de l’Observatoire de l’Information Santé.

Captation réalisée par acteurs de santé Tv pour l’Observatoire de l’Information Santé, au Centre de Sociologie des Organisations de Sciences Po et du CNRS, à l’occasion du débat « Politiques du cancer, que peut apporter la sociologie ? » organisé autour de l’ouvrage « Les politiques de lutte contre le cancer en France » publié aux presses de l’EHESP.


En savoir plus :
http://www.cso.edu/home.asp
https://www.e-cancer.fr/  
https://www.hcsp.fr/explore.cgi/Accueil
http://www.ligue-cancer.net
http://www.observatoiredelinfosante.co

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