Covid 19 et infodémie, l’autre pandémie à endiguer

Dr Sylvie C. BRIAND, OMS - Brigitte FANNY COHEN, Journaliste santé - Dr Gérald KIERZEK, TF1/LCI, Doctissimo, Caroline FAILLET, Opinion Act

Mieux comprendre le mécanisme des « fake news » à l’heure de la COVID-19, mais aussi proposer des pistes pour mettre fin aux croyances ou autres théories du complot.

« La COVID-19 est la première pandémie de l’histoire dans laquelle les réseaux sociaux sont utilisés » 
Tel est le constat du Dr Sylvie C. Briand lorsqu’elle observe la façon dont le grand public a été informé depuis le premier cas de coronavirus recensé à Wuhan, en Chine, le 1er décembre 2019. D’emblée, la directrice de la gestion des risques infectieux à l’OMS (programme de gestion des situations d’urgence sanitaire), y voit une avancée : les nouvelles technologies qui permettent une information instantanée au même moment, n’importe où dans le monde, sont un progrès. Un pas en avant pour informer en temps réel et permettre à chacun de se protéger, se mettre en sécurité face à un danger sanitaire. Sauf que, dans le même temps, les outils qui permettent d’être connectés à tous, à tout, partout, tout le temps, sont aussi ceux qui délivrent de fausses informations ou autres théories de complots, et favorisent une infodémie. « Les fake news s’amplifient, vite, en plusieurs langues et dans plusieurs pays », commente le Dr Sylvie C. Briand. Ce qui complique toute riposte et tout programme de lutte contre la pandémie. Car le doute plane. La confiance s’étiole. « On ne sait plus ce qui est bénéfique ou pas pour la santé », souligne-t-elle. Autrement dit : trop d’information tue l’information. Il faut trier, hiérarchiser, ne pas perdre pied. Facile à dire, mais pas si simple à réaliser. « Car une épidémie, ça provoque beaucoup de peurs », rappelle le Dr Sylvie C. Briand qui compare les incertitudes des uns et les appréhensions des autres à « une nouvelle maladie ». Alors, certes, aujourd’hui, on en sait un peu plus sur les modes de transmission, l’évolution des malades, la pertinence des tests… « mais les informations arrivent au compte-gouttes, même si au bout d’un an à peine, on parle déjà de vaccins », nuance la représentante de l’OMS. Les paradoxes se multiplient. Quand certains applaudissent les soignants, d’autres les stigmatisent en leur reprochant de transmettre le virus… La méfiance est de mise. Et ce d’autant que tous les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux. A cela s’ajoute les désobéissants, à l’instar des anti-masques, par exemple. « D’un côté, nous vivons dans un monde physique et, de l’autre, dans un monde virtuel. Les deux mondes sont connectés, mais nous n’avons pas la même perception de l’information d’un monde à un autre », regrette le Dr Sylvie C. Briand. En effet, les formulations diffèrent, les formats et la vitesse de transmission aussi. La force des réseaux ? Ils véhiculent images et vidéos « qui ont beaucoup plus d’impact sur le public qu’un article dans la presse », insiste le médecin de l’OMS.

« L’information ne doit pas être un frein, mais bien une solution »
« Lors d’une épidémie de fièvre jaune en Angola, une rumeur avait couru selon laquelle si on se faisait vacciner, on ne pouvait plus boire de bière pendant une semaine », se souvient le Dr Sylvie C. Briand. Résultat : « Les hommes ne venaient plus se faire vacciner ! » Les croyances ont la vie dure. Or, dans le domaine de la santé publique, la diffusion de fausses informations peut coûter des vies. Le médecin de l’OMS préconise d’instaurer de « bonnes pratiques » dès que d’aucuns postent et diffusent sur le Web. « L’information ne doit pas être un frein, mais bien une solution face à une épidémie », dit-elle. Dans ce contexte, l’OMS s’est dotée d’outils pour mieux cerner les attentes du public. Ces outils prennent la forme d’une écoute attentive des inquiétudes des uns, des interrogations des autres, « pour mieux prodiguer la bonne information », explique le Dr Sylvie C. Briand. Car cette écoute se base sur l’analyse de chaque mot entendu, pour en décrypter une émotion, en comprendre les racines d’une colère. L’objectif étant d’apaiser en expliquant, de rassurer en informant. Cette nouvelle discipline a été baptisée « infodémiologie » et se définit comme une science de la gestion des infodémies. Selon l’OMS, l’infodémiologie vise à « comprendre le caractère pluridisciplinaire de la gestion des infodémies ; reconnaître des exemples actuels d’infodémie et connaître les outils disponibles pour comprendre, mesurer et combattre le phénomène ; élaborer un programme de recherche en santé publique pour canaliser les efforts et les investissements vers ce nouveau domaine scientifique ; et, enfin, créer une communauté de pratique et de recherche ». Pour ce faire, des profils très variés sont sollicités : experts en épidémiologie, santé publique, mathématiques, applications technologiques, sciences sociales, journalisme, médias, marketing, éthique…, tous ont un regard qui peut faire avancer les choses. Ils vont d’ailleurs se retrouver le 11 décembre 2020, lors d’une Conférence mondiale sur l’infodémie, organisée par l’OMS.

Le rationnel face à l’émotionnel
« Nous avons déjà formé des gestionnaires de l’infodémie », détaille le Dr Sylvie C. Briand : 150 personnes dans 63 pays différents vont pouvoir mettre en œuvre les outils mis à leur disposition, à commencer par les façons d’approcher et écouter le public. « L’ennemi, c’est le virus, pas les populations », ajoute-t-elle. Avis partagé par la netnologue Caroline Faillet, fondatrice et directrice du cabinet de conseil Opinion Act. Pour elle, « il faut éviter que les croyances se développent et circulent plus vite que les connaissances de ceux qui savent. Il faut que ces savants soient plus influents, sur les réseaux, que les émetteurs de fake news ». Il faut donc démêler le vrai du faux. Faire le tri. Mais quid des hébergeurs ? Quid de la diffamation ?... Beaucoup de questions restent encore sans réponse. Et brûler les étapes serait une erreur. Dans le domaine scientifique, on avance à tâtons, « car ce n’est jamais tout blanc ou tout noir », souligne Caroline Faillet. Surtout lorsque le rationnel fait face à l’émotionnel. La journaliste Brigitte Fanny Cohen, ancienne chroniqueuse à France 2, désormais en charge de « la Minute Santé » de l'Observatoire de la Santé parle de « cacophonie ». « Car les fake news et l’information scientifique circulent en même temps », dit-elle. Et ce d’autant que tout le monde a son propre fil d’info en continu, à commencer par les alertes qui arrivent sur un smartphone. Face à ce surplus de nouvelles en temps réel, Brigitte Fanny Cohen invite à « prendre le temps du recul. Par exemple, en écoutant les émissions qui décryptent les infos et pointent les intox. Il faut exercer son esprit critique, avoir le réflexe d’une défense intellectuelle par rapport aux informations qui circulent sur les réseaux sociaux ». « Travaillons ensemble ! » préconise pour sa part le Dr Sylvie C. Briand : « Journalistes, spécialistes de la communication, professionnels de santé, scientifiques, politiques… ensemble, on fera plus vite et mieux pour lutter contre l’infox. » Caroline Faillet approuve « cette idée d’associer les disciplines ». Mais elle prône, en plus, « le retour d’un enseignement des techniques de dialectique et de rhétorique ». Une façon d’inciter à préciser son écriture, le sens des mots, des formules, aiguiser son langage, raconter le juste pour mieux dire le vrai.

Anne Eveillard


« Quand l’infodémie santé s’invite dans le débat ! » Rencontre organisée par le Festival de la Communication Santé le 24 novembre 2020, en partenariat avec l’ISCOM dans le cadre de son grand forum de la communication, avec le soutien institutionnel d’Elsevier Masson, de la FNIM et de l’Observatoire de l’Information Santé. Partenaire médias : Acteurs de santé Tv, Prescription Santé, La Veille des acteurs de la Santé, Doctissimo et Pharmaradio. Débat animé par Eric Phélippeau, vice-président du Festival de la Communication Santé et Daniel Rodriguez, président d’Elsevier Masson.

En savoir plus : Décoder l’info (éditions Bréal), Caroline Faillet, https://www.acteursdesante.fr/fake-news-decoder-l-information/1575/, https://www.observatoiredelinfosante.com/medias/fake-news-enseigner-les-techniques-de-manipulation-du-langage-336.htm

Avec la participation de Dominique Noël, Présidente du Festival de la Communication Santé
et de Marianne CONDE-SALAZAR, Directrice du Groupe ISCOM.

Rencontre co-animée par :
Daniel Rodriguez - Elsevier Masson - SPEPS
& Eric Phélippeau - Festival de la Communication Santé.
Une Rencontre #FestComSanté en partenariat avec l'ISCOM.
Avec le soutien institutionnel de Elsevier Masson, de la FNIM
et de l'Observatoire de l'Information Santé.

Partenaires médias : Acteurs de Santé, Prescription Santé, La Veille,
Doctissimo et Pharmaradio.

Sur le même thème

Cancer du sein et tests génomiques : un livret d’information à télécharger

Un livret à lire dès le diagnostic d'un cancer du sein.

Réussir son intervention face caméra, à la télé ou devant son ordinateur !

Un guide pratique signé Gaël de Vaumas & Stéphanie Chevrel et illustré par Gabs aux Editions Eyrolles.

Courrier International, La Tribune, la passion de l’information

J’avais cette vision très romantique de la presse et de l’information. Quoi de mieux pour satisfaire ce rêve que de me noyer ...

Comment gérer son obésité en temps de Covid-19 ?

Journée mondiale de l'obésité - Webinar, le 4 mars, à 17h30, dédié aux personnes souffrant d’obésité ou de Diabète de type ...

Informations de santé publique, un label pour les médias ?

La multitude d’informations provenant de trop nombreux canaux trouble le message et ne permet pas aux sites les plus sérieux ...

Devenir journaliste, les nouvelles pratiques de l’information

Avoir envie, être curieux et maîtriser les nouvelles technologies sont les trois conseils que je donnerai à un jeune qui ...

Développer son esprit critique pour lutter contre la désinformation

5/5 - Tout le monde peut produire et diffuser une information. Maîtriser les techniques journalistiques est crucial.

Fake news - Décoder l’information

Les acteurs de la connaissance qui possèdent un savoir qu'il faut vulgariser sont les absents des réseaux sociaux.