Cancer du sein précoce, cancer du sein triple négatif, prédisposition génétique au cancer du sein…, les traitements et la prise en charge des femmes atteintes de cancer du sein n’ont jamais autant été améliorés qu’aujourd’hui. Et demain ? Le génome nous communique une information à portée de mains en utilisation médicale : stratégie de prévention et de dépistage, personnalisation des traitements, désescalade thérapeutique, prédiction des risques… Tout ceci a un coût, mais permet aussi de faire des économies vraiment importantes, la question du financement de l’innovation était au cœur du congrès de la SFMPP. Le Pr P. Pujol est confiant. L’intelligence artificielle est vectrice d’intégration multi-modèle de la génomique, et aussi de toutes les autres données qui apportent la précision.
Quelles sont pour vous les avancées qui, au cours de ces 5 dernières années, ont vraiment changé la vie des femmes comme des praticiens ?
« Ce qui change en matière de traitement, c'est que l’on guérit des femmes qui ont des cancers du sein précoces diagnostiquées à un stade peu avancé, c’est extraordinaire ! Les thérapies ciblées, dernières avancées dans ce domaine, qui visaient déjà un marqueur assez spécifique, remontent à une vingtaine d’années (HER2). Depuis, il n’y avait pas eu d'avancée notable qui permette vraiment de guérir du cancer du sein. En ce qui concerne les cancers du sein triple négatif, l'immunothérapie a permis d’une part d’améliorer le taux de survie sans récidive, et d’autre part, d’améliorer la survie globale avec des courbes en plateau, comme cela a été présenté cette année au Congrès de l’ESMO. Ceci laisse à penser que nous avons guéri des patientes qui auraient récidivé s'il n'y avait pas eu l'immunothérapie. Un autre point fort concerne un nombre plus restreint de femmes qui présentent des prédispositions génétiques au cancer du sein qu'on appelle BRCA1 ou BRCA2. Chez ces femmes, nous avons la démonstration qu’administrer les inhibiteurs de PARP sous forme orale, traitement ciblé très particulier, leur permet d'avoir une meilleure survie globale. Ces avancées considérables que l'on attendait depuis 20 ans permettent, grâce à une médecine personnalisée, une amélioration réelle de la vie des femmes atteintes d’un cancer du sein. »
Cela veut dire qu'aujourd'hui, on arrive à dépister les femmes plus précocement qu'il y a 20 ans ? Pratiquement, qu’est ce qui a changé ?
« C’est un autre aspect extrêmement important de la médecine personnalisée, mais appliquée à la prévention. C'est à dire que la génétique permet un autre type d'informations provenant de la combinaison des facteurs de risque et que l'on appelle “la multimodalité”. Tout cela est possible grâce à l'intelligence artificielle (IA). Nous allons être capables de prédire les risques forts dans des sous-populations de patients et d’appliquer un dépistage ou des mesures de prévention qui vont permettre d’agir. »
Un dépistage génomique dès la naissance ?
« C’est très possible. Nous allons réaliser pendant le congrès un séquençage complet de plusieurs personnes volontaires, dont Luc Ferry qui a accepté de lever l'anonymat. Il y a réellement, derrière le génome, une information à portée de main pour une utilisation médicale. Nous voulons démontrer que l'on peut aller vite. Pourquoi ? Parce que dans le cancer, il faut aller vite, tout comme dans des cas de souffrance néonatale, parfois associée ou non à des malformations. Des enfants en réanimation néonatale posent un problème de diagnostic. La génétique permet plus d'une fois sur trois d'obtenir un diagnostic précis et ainsi, d'améliorer la prise en charge des patients. Un autre exemple sont les greffes rénales où il est urgent de disposer d'outils qui prédisent la compatibilité. Un génome à la naissance ? Je ne sais pas, mais le génome permet d'ores et déjà d'anticiper le risque d'avoir un enfant qui présente une maladie grave. En dehors de ces indications de séquençage ultra-rapide, le génome permet déjà de se projeter sur de la prévention ou du dépistage en cas de maladie grave comme la mucoviscidose ou l'amyotrophie. Ces pathologies sont diagnostiquées chez des enfants pour lesquels 9 fois sur 10, les parents n'ont pas la maladie. L’un et l’autre des 2 parents a un gène qui va prédisposer à la maladie, leur union va entraîner cette maladie chez leur enfant. Or nous avons aujourd’hui la capacité de dépister les personnes ou les couples qui peuvent présenter cette malheureuse probabilité d'avoir un enfant à naître atteint de cette pathologie. Nous pouvons aussi imaginer que le génome nous serve déjà pour la pharmacogénétique. C'est une des grandes sessions de ce congrès, toutes les utilisations de la pharmacogénétique vont être déclinées : nos gènes vont prédire parfois un effet toxique majeur. On connaît l'exemple du 5-FU en cancérologie qui peut donner lieu à des incidents mortels parce que le patient présente un métabolisme particulier de cette drogue. On peut, de la même façon décliner cela en termes d'efficacité pour des drogues de chimiothérapie ou pour l’hormonothérapie. La pharmacogénétique permet de personnaliser le traitement, en prévision des effets secondaires ou de l'efficacité des médicaments. En réalité, le génome à la naissance arrivera probablement du fait du développement des applications pour mieux anticiper les risques de chacun vis à vis du cancer, pour avoir un traitement personnalisé médicamenteux et peut-être aussi pour dépister certaines maladies rares avant qu'on ne se retrouve dans des situations désespérées. »
Dans le cancer du sein, les tests génomiques permettent, dans certains cas de ne pas faire de chimiothérapie, de désescalader, qu’en est-il ?
« Il s’agit là d'une génomique qui est plutôt tumorale et qui permet effectivement la désescalade dans le cancer du sein. Ce n'est pas une génétique portée dans toutes nos cellules, mais elle est portée sur la tumeur et ce qui est absolument sûr, c'est que nous allons vers une analyse génétique tumorale complète et peut-être même au-delà car la génétique n’est qu'une partie de l'information. Pour la précision et la personnalisation, il faudra utiliser l'épigénétique et d'autres tests un peu plus complexes, et surtout prendre en compte la totalité des informations. Et c'est l'IA qui va nous le permettre. Le patient a-t-il répondu à tel traitement ? Quelle est son histoire ? Quel est son âge ? … »
A-t'on les moyens en France de faire tout cela ?
« Je n’ai pas de doute, même si dans ce congrès nous avons beaucoup de discussions sur le financement de toutes ces innovations. Certes, elles ont un coût mais elles permettent aussi de faire des économies. Certains croient que la médecine personnalisée est inflationniste, c'est faux. Nous avons aujourd'hui des thérapies onéreuses comme l'immunothérapie, mais si grâce à la médecine personnalisée, nous délimitons ce type de molécules à de petits groupes de patients qui vont en tirer un grand bénéfice, tandis que dans le même temps, elles ne seront pas prescrites à de nombreuses personnes qui n'en tireraient aucun bénéfice, notre système de santé s’en sort gagnant. Aujourd'hui, il faut faire attention parce que si on n'y prend pas garde, une espèce d'inflation et de dérive des immunothérapies, des thérapies ciblées risque de se produire. Or, il vaut mieux réfléchir à l'inverse : délimitons les sous-populations qui bénéficient réellement d’un traitement, cela nous permettra de faire des économies à la clé. »
Quel sera le thème du prochain congrès ?
« Il faut veiller aux équilibres. Le secteur de l’oncologie a connu de nombreuses applications de la génétique, notamment avec la génétique tumorale. Il ne faut pas perdre de vue que nous avons aujourd’hui dans les milliers de maladies rares connues, une connaissance incroyablement augmentée. Il ne se passe pas une semaine sans avoir de nouvelles données. Nous comprenons les mécanismes. Les thérapies ciblées que nous utilisons en cancérologie arrivent dans les maladies rares. Nous proposons de la prévention. Le prochain congrès proposera une journée entière dédiée à l’IA car il faut que nous arrivions à générer des interactions entre l’intégration multimodale de la génomique et d’autres données qui vont apporter de la précision. »
Rendez-vous en 2025 !
Interview réalisée en direct du Congrès de la Société Française de Médecine Prédictive et Personnalisée (SFMPP), octobre 2024.