Les journalistes et les médias sont-ils responsables de mésinformation, d’informations fausses transmises de manière involontaire ?
« Certains journalistes généralistes, lorsqu’ils vont parler de science, vont régulièrement commettre des erreurs. Ils vont transmettre des informations insuffisamment vérifiées, soit parce qu’ils font confiance au maillon de la chaîne qui leur a apporté ces données, soit parce qu’ils n’ont pas les bonnes méthodes de vérification. Les journalistes, formés au journalisme scientifique - qui présente des spécificités par rapport aux autres formes de journalisme -, ne commettent pas ces erreurs. »
Ne pas se faire avoir par l’expert en blouse blanche ou la dernière étude en date
« La principale erreur commise est de confondre la parole d’une personne en blouse blanche qui fait donc partie du monde scientifique avec la parole de la science. Or un individu qui a une formation scientifique ne vaut pas l’état de la science. Un prix Nobel, par exemple, est expert dans son domaine pendant un temps donné. S’il sort de son domaine ou s’il a été Prix Nobel, il y a 30 ou 40 ans, il sera peut-être beaucoup moins pertinent ! De même, ce n’est pas parce qu’il s’agit de la dernière étude en date qu’elle est la meilleure ! Elle a aussi pu être bâclée et venir contredire 60 années d’études bien menées. C’est important de remettre en perspective une étude nouvellement publiée ou une information transmise par un expert au regard de ce que l’on a patiemment vérifié. »
Le temps des sciences n’est pas le temps de l’actualité
« Il ne faut jamais oublier que les sciences sont un travail collectif, collaboratif et correctif. Les découvertes en santé mettent du temps à être élaborées et vérifiés, c’est une lente pyramide sur laquelle on accumule les savoirs. Le temps des sciences n’est pas le temps de l’actualité. Un fait scientifique n’est pas une opinion. Deux scientifiques peuvent avoir des discours contradictoires, l’un va s’exprimer au nom du consensus scientifique, l’autre au niveau de ce qu’il croit être vrai mais sans avoir encore avancé de preuve. »
« Comment sait-on ce que l’on sait ? »
« C’est important que les journalistes s’interrogent sur la formation des savoirs scientifique pour comprendre toute la fragilité de la chaîne de l’information qui arrive jusqu’à eux. L’excellent travail produit par un chercheur et vulgarisé par son service de communication ne va pas toujours se limiter à produire des documents exclusivement scientifiques… C’est pourquoi, il faut apprendre soi-même à lire les études, à comprendre les statistiques de base. On peut se former sur le tas. Le problème est que certains journalistes pensent qu’ils n’ont pas besoin de cette formation, soit parce qu’ils sont de bons journalistes généralistes, soit parce qu’ils pensent avoir une culture scientifique suffisante. Mais est-ce la réalité ? De nombreux journalistes ont de fausses représentations et ne les interrogent pas. »
Les journalistes et les médias peuvent-ils jouer un rôle pour contrer ou bloquer les fakes news ?
« Le fact checking consiste à vérifier la véracité d’informations en circulation dites par des hommes politiques ou des acteurs publics. Le fact checking peut aussi porter sur des rumeurs en circulation dont on ne connaît pas ou, au contraire, dont on prétend connaitre le nom de l’émetteur. Il va alors effectivement falloir vérifier qui est l’émetteur. Les journalistes font normalement ce travail d’investigation, en amont, lorsqu’ils préparent leur papier. Le fact checking intervient lorsqu’une information est en circulation et que, visiblement, elle est fausse. Il faut alors la décortiquer pour le public. Le problème est quand il faut fact checker les journalistes de sa propre rédaction… Ce n’est pas si simple ! Il faut savoir aller piocher dans différents services de fact checking pour se faire une opinion. »
En savoir plus : https://www.observatoiredelinfosante.com/
Interview réalisée à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Santé, science, doit-on tout gober ? », Florian Gouthière, Belin. https://www.belin-editeur.com/florian-gouthiere