En 2012, Pascal Douek est diagnostiqué d'une sclérose en plaques, il rejoint alors un certain nombre d'associations de patients. C’est à ce titre qu’en 2018, l'Agence du médicament lui demande de participer à un comité scientifique sur le cannabis médical. En tant que patient, il rejoint ensuite l’expérimentation sur le cannabis médical qui doit se terminer fin 2024. C’est dans ce contexte qu’il publie un livre : « Cannabis médical. Une nouvelle chance. »
Qu’est-ce que le cannabis médical ? Quelle différence avec ce qu'on appelle familièrement la beuh ou la weed ?
« La beuh, la weed ou encore l'herbe, est ce qu'on appelle le cannabis récréatif, celui avec lequel on va rechercher des effets euphorisants. Il s'adresse à des personnes qui ne sont pas malades. Le cannabis médical concerne avant tout des patients atteints de pathologies sévères, avec des symptômes lourds qui ne répondent plus aux traitements conventionnels. Cette population est totalement différente de celle du cannabis récréatif. Les produits de cannabis médical sont de qualité pharmaceutique : ils ont été développés et contrôlés tout au long de leur transformation de façon à s'assurer qu'ils répondent bien aux critères définis initialement. »
Quelles sont les pathologies sévères concernées par le cannabis médical ?
« Dans le cadre de l'expérimentation menée en France, 5 indications ont été retenues : les douleurs neuropathiques, la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques, certaines formes d'épilepsie sévères et pharmaco-résistantes de façon à agir sur les convulsions, les symptômes rebelles en oncologie, comme les nausées, les vomissements ou la perte d'appétit et les soins palliatifs. Dans cette période de fin de vie, le cannabis médical va agir sur l'anxiété et sur les douleurs associées à l'anxiété. Le cannabis médical n'a pas pour objectif de traiter les maladies, mais uniquement de soulager les symptômes : il ne pourra pas traiter ou faire disparaître une douleur neuropathique ou une sclérose en plaques, mais il va soulager les symptômes qui, en réalité, sont les plus invalidants. A chaque fois, nous sommes en dernière ligne de traitement. Les traitements conventionnels existants ne répondant plus. »
Peut-on aujourd'hui, en France, se procurer du cannabis médical ?
« La France a fait le choix de mettre en place une expérimentation. La question posée lors du premier comité scientifique et stratégique dont j’ai fait partie, était de savoir s’il était pertinent ou non d'autoriser le cannabis médical et si oui, dans quel contexte ? L'ensemble des 13 experts de ce comité ont tous voté à l'unanimité pour l’autorisation du cannabis médical. Le modèle français retenu a été celui de l'expérimentation qui se compose en deux phases : la première doit permettre d'évaluer le fonctionnement du cannabis médical en France, dans un cadre bien défini et bien encadré, pour dans un second temps et en fonction des résultats, ouvrir de manière plus large l'accès au cannabis médical.
Cette expérimentation devait initialement se tenir de 2021 à 2023, mais depuis, nous avons dû faire face à de nombreux changements de gouvernements. Le ministre de la Santé François Braun a décidé de prolonger d’un an l'expérimentation du cannabis médical. Puis, avec Aurélien Rousseau, l’expérimentation a finalement été prolongée jusqu’à fin 2024. Pour l’instant, nous nous trouvons dans une situation totalement floue sans prise de décision possible. La phase de généralisation initialement prévue en 2023, puis en 2024, et enfin en janvier 2025, risque probablement d’être encore décalée à septembre 2025. Croisons les doigts ! »
Que se passe-t-il dans les pays européens ?
« La situation est extrêmement variable selon les pays européens qui ont fait le choix de modèles très différents. Le plus intéressant est le modèle allemand. Depuis 2017, en effet, n'importe quel médecin peut prescrire une prise en charge et obtenir le remboursement dès lors que le dossier a été accepté par la sécurité sociale, c’est une liberté assez importante. On espère se retrouver dans un modèle comme celui-ci en France, en 2025. En Angleterre, le système a été compliqué à mettre en œuvre et fonctionne toujours mal aujourd’hui : les médecins n’ont pas reçu de formation et très peu de patients ont pu avoir accès au cannabis médical. Il leur était difficile d’obtenir une ordonnance et d’avoir un accès aux médicaments. Le Danemark, quant à lui, a fait le choix de mettre en place une expérimentation, pas tout à fait sur le même modèle que la France, qui fonctionne plutôt bien. Aux Pays-Bas, de manière historique, l’autorisation pour l’accès au cannabis médical a été donné en 2006 et marche relativement bien. D’autres pays, comme par exemple, le Luxembourg, la Grèce, Malte, Chypre…, ont donné un accès au cannabis médical, à chaque fois sur des modèles différents, avec des succès très différents d’un pays à un autre. »
Les bénéfices du cannabis médical ont-ils été prouvés dans cette expérimentation ? Quels sont-ils ?
« Si nous nous préparons à entrer prochainement dans la phase de la généralisation, c'est à dire un accès à plus de médecins à la prescription du cannabis médical et à plus de patients, c’est que les résultats de l’expérimentation sont positifs. Près de 3.000 patients y ont participé pendant trois ans. Seuls des médecins hospitaliers de Centres de référence de chacune des 5 indications pouvaient être prescripteurs ou initiateurs de ce cannabis médical, à la condition qu'ils soient volontaires et acceptent d'être formés. 500 médecins formés sont aujourd’hui prescripteurs de cannabis médical. Les bénéfices observés sur le registre qui a été mis en place par l’ANSM lors de l’expérimentation, correspondent à ce que nous espérions sur les symptômes, mais aussi et essentiellement sur la qualité de vie des patients. Près de 70% des patients sont toujours dans l’expérimentation, ce qui est le meilleur critère de satisfaction et d’efficacité. »
Quels sont effets secondaires ?
« Les effets secondaires sont les mêmes que ceux du cannabis récréatif : effets euphorisants, effets de bouche sèche, cognitifs ou de somnolence. Ce que l'on cherche dans le cannabis médical, ce n’est pas de shooter les gens, mais de les soulager. Il faut trouver le bon équilibre entre la dose minimale efficace et le moins d'effets secondaires possibles qui sont quasi systématiques quand on augmente les doses, mais qui interviennent à des moments différents. Chaque patient a une susceptibilité qui n'est pas la même aux effets secondaires. »
Peut-on arrêter, remplacer ou diminuer la consommation de médicaments classiques, contre l’anxiété ou la douleur par exemple, lorsqu’on est sous cannabis médical ?
« Il s’agit de patients qui ont des maladies sévères et des symptômes sévères. Les patients qui sont pris en charge pour des douleurs neuropathiques dans les centres antidouleur reçoivent souvent des médicaments opioïdes qui entraînent une forte addiction et des effets secondaires très nombreux. Utiliser le cannabis médical chez des patients qui ont des traitements lourds va permettre effectivement de réduire ces traitements et d'obtenir un ratio bénéfice - risque bien meilleur que ce que l'on peut constater avec les opioïdes ou avec les autres médicaments utilisés par les centres anti-douleurs qui présentent un cortège d'effets secondaires assez important. »
Existe-t-il des études ou des expérimentations internationales ? Que se passe-t-il actuellement aux États-Unis, au Canada ou bien dans les pays d’Amérique latine ?
« Les études sont actuellement le point faible du cannabis médical, car nous ne sommes pas dans le monde de l'industrie pharmaceutique, mais dans un monde d’industriels situés au Canada, aux États-Unis, en Israël ou en Australie. Ces industriels n’ont pas les moyens de mettre en place des études randomisées en double aveugle, avec les mêmes standards que ceux mis en place pour les médicaments. Les designs des études sont généralement plutôt médiocres et les effectifs plutôt faibles.
Le meilleur niveau de preuve est aujourd’hui apporté essentiellement dans les douleurs neuropathiques et dans la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques. Des études observationnelles sont mises en place. Comme j’aime à le dire, dans le cannabis médical, ce ne sont pas les études, mais les patients qui en parlent le mieux. Certains d’entre eux rapportent une amélioration parfois extraordinaire qui n'est absolument pas mise en avant dans les études. Ces deux mondes s'opposent. Et malheureusement actuellement, il n'y a pas d'acteurs qui aient suffisamment de moyens pour mettre en place des études telles qu'on aimerait les avoir sur le cannabis médical. »
Comment expliquer que la France soit aussi réticente au vu des premiers résultats positifs de l'expérimentation ?
« La France est le premier pays européen consommateur de cannabis récréatif, c’est important d’avoir cela en tête. C’est aussi le pays le plus répressif au niveau européen pour le cannabis, toutes formes confondues. Il y a un historique très fort. Il existe, par exemple, une très forte distorsion entre les visions radicalement différentes du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Santé. Et puis, dans cannabis médical, il y a le mot cannabis qui automatiquement crée des tensions très fortes au niveau politique. »
Y a-t-il une éventualité pour que la France décide finalement de ne pas commercialiser et de ne pas prendre en charge le cannabis médical ?
« C'est aujourd’hui la vraie inquiétude des patients et de leurs associations, car lors des deux premières années de l’expérimentation en France, les traitements étaient donnés gratuitement par les industriels, les patients n’avaient rien à payer. Lorsque l’expérimentation a été prolongée, l’ANSM et la DGS ont accepté de prendre en charge les produits. En 2025, des industriels français, mais également étrangers, vont proposer leurs produits. La France qui commence à créer sa propre filière de cannabis médical va devoir prendre des décisions sur le remboursement qui est un véritable problème aujourd'hui pour le patient. Le cannabis médical coûte cher et si les patients doivent le prendre à leur charge, nous allons une fois de plus nous retrouver avec une médecine à deux vitesses à laquelle effectivement, un certain nombre de patients ne pourront pas avoir accès. Aujourd'hui, nous n’avons aucune certitude concernant la mise sur le marché et le remboursement du cannabis médical qui devrait être mis en place en 2025. »
Le CBD en vente libre peut-il être une alternative au cannabis médical ?
« Le CBD en vente libre dans les CBD Shops et sur les sites Internet de e-Commerce, n'est pas de qualité pharmaceutique. Un dossier sur le CBD réalisé par 60 millions de consommateurs – après analyse d’un certain nombre de produits - montrait une très grande distorsion entre les composants indiqués sur les flacons ou les boîtes et ce que l’on trouvait réellement à l’intérieur. Aussi, il est impossible de recommander ce type de CBD aux patients. De plus, le CBD n'a montré son intérêt que dans le cadre des crises convulsives des épilepsies sévères. Les patients reçoivent alors du CBD de qualité pharmaceutique à des doses assez élevées et dont on connaît très bien les caractéristiques. Si les patients se fournissaient dans un CBD Shop, cela coûterait une fortune ! »
Quel est votre souhait en tant que patient et qu’expérimentateur du cannabis médical ? Quelle est la volonté des 13 experts qui participent à cette expérimentation pour le futur ?
« La volonté des experts comme des associations de patients est qu'on puisse maintenant démarrer la phase de généralisation. C'est à dire que n'importe quel médecin hospitalier, de quelque centre que ce soit, puisse prescrire du cannabis à ses patients et que sa prescription puisse ensuite être relayée en ville par des médecins spécialistes ou généralistes et des pharmaciens d'officine afin d’offrir aux patients la meilleure prise en charge et le meilleur suivi. Nous sommes tous unanimes sur ce point. Ne pas commercialiser ce cannabis médical me semble impossible. 2.000 patients participent toujours aujourd’hui à l’expérimentation, on peut difficilement imaginer qu’ils soient brutalement privés de leur soulagement. Et puis, de très nombreux patients qui ne peuvent aujourd’hui y accéder attendent de pouvoir bénéficierà leur tour du cannabis médical. »
Pascal Douek, Le cannabis médical, une nouvelle chance. Editions Solar (septembre 2020).
https://www.fnac.com/a14355913/Pascal-Douek-Le-cannabis-medical-une-nouvelle-chance-Pourquoi-Pour-qui-Comment