Il y a quelques mois, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié de nouvelles recommandations concernant l'utilisation des signatures génomiques dans le cancer du sein qui ont suscité un certain nombre de réactions.
« Les précédentes recommandations de l'utilité clinique des signatures génomiques dans le cancer du sein dataient de 2019. C’est pourquoi oncologues et patientes attendaient impatiemment leur actualisation. Celle-ci apporte un certain nombre de points positifs par rapport aux recommandations précédentes : la Haute Autorité de santé (HAS) autorise désormais l'utilisation des signatures moléculaires pour les patientes présentant un envahissement ganglionnaire, de 1 à 3 ganglions (pN1). Cette décision était très attendue car nous étions en décalage important avec d'autres pays. Ces recommandations font également la distinction entre patientes pré-ménopausées et patientes ménopausées, ce qui est en ligne avec un certain nombre de recommandations internationales. Cependant, elles limitent l'utilisation des signatures moléculaires aux patientes non ménopausées qui ne présentent pas d’envahissement ganglionnaire (N0), avec l'utilisation de critères clinico-pathologiques (taille et grade) - ce qui ne figure pas dans les recommandations internationales. Cette décision, assez particulière à la France, peut être tout à fait discutable. En effet, grâce aux données d'essais cliniques et aux bases très importantes de données de vraie vie, on sait par exemple que ne pas faire de signatures moléculaires à des patientes qui ont des tumeurs de grade histologique élevé (grade 3) ou des facteurs de prolifération élevés, peut empêcher une désescalade thérapeutique. Or nous disposons d’énormément de données avec la signature Oncotype DX®. Ce choix français de limiter l'utilisation des signatures génomiques à des populations à « risque intermédiaire », pour lesquelles on se pose la question d’une indication de chimiothérapie, n’est pas forcément partagé par tout le monde, mais c’est celui de la Haute Autorité de santé. »
Combien de signatures génomiques sont-elles aujourd'hui commercialisées en France et sont-elles toutes concernées par ces recommandations ?
« Quatre signatures sont disponibles aujourd'hui en France : les signatures Oncotype DX® et MammaPrint® sont considérées comme celles ayant le plus de données cliniques car elles ont été testées dans des essais prospectifs impliquant plusieurs milliers de patientes. Deux autres signatures, EndoPredict® et Prosigna®, ont été validées de façon rétrospective dans des essais cliniques. Elles présentent la particularité de pouvoir être réalisées localement, dans les structures qui ont les équipements nécessaires, mais elles ne disposent pas de données statistiquement aussi fortes : n’ayant pas été validées dans des essais prospectifs, elles ne présentent en effet pas le même niveau de preuve. »
Peut-on revenir sur les femmes pré-ménopausées ?
« En ce qui concerne les femmes pré-ménopausées, la Haute Autorité de santé ne reconnaît qu'une seule signature : Oncotype DX®, qui est celle disposant du plus grand nombre de données solides provenant d’essais cliniques, ce qui est assez positif. L’étude TAILORx qui vient d'être réactualisée montre, en effet, l’utilité d'utiliser Oncotype DX® chez les femmes non ménopausées et pour lesquelles on pourrait se passer d'une chimiothérapie adjuvante lorsqu'il n'y a pas d'envahissement ganglionnaire. Par ailleurs, Plan B®, un grand essai allemand corrobore les résultats de l'étude TAILORx. Nous nous sentons donc en sécurité pour ces patientes. »
Comment expliquer que la HAS ait exclu de ces recommandations les femmes de plus de 70 ans ?
« La Haute Autorité de santé souhaite que les signatures génomiques soient utilisées uniquement dans la désescalade thérapeutique. C'est une des raisons pour lesquelles elle a limité leur utilisation aux patientes de moins de 70 ans, alors que nous savons qu’il peut y avoir un bénéfice de la chimiothérapie chez les patientes à haut risque, même si elles ont plus de 70 ans. Cette décision, elle-aussi assez discutable, est pour moi compliquée à accepter, d'autant que le dépistage du cancer du sein en France concerne les patientes jusqu'à 74 ans. »
Qu’est-ce qui vous surprend ou qui vous inquiète ?
« Ce qui m'inquiète beaucoup, c'est que ces signatures restent dans le RIHN. Les patientes ne payent pas leur test, mais c’est un surcoût pour les établissements. En effet, dans ce mode de financement de l’innovation, environ la moitié du coût du test est à la charge de l'établissement de santé. Donc, même si ce terme est un peu fort, il s’agit d’une défiance de la Haute Autorité de santé face aux évidences apportées par les grands essais randomisés et, en particulier, les essais sur Oncotype DX®.
Pour la HAS, l'utilité clinique de ces signatures reste encore à prouver, ce qui est pourtant en contradiction totale avec toutes les recommandations européennes et internationales en faveur de l'utilisation de ces tests. Au Royaume-Uni, par exemple, le NICE, connu pour être extrêmement strict, rembourse les signatures moléculaires. Aussi, nous ne comprenons pas pourquoi ces signatures qui ont prouvé par des études médico-économiques leur apport majeur en termes d'économies de santé - puisqu'elles évitent la chimiothérapie à plus d’une femme sur deux concernée - ne sont pas remboursées à 100% par la sécurité sociale. D’autant que les signatures moléculaires représentent moins de 2 % des dépenses de santé. La balance est bien en faveur de l'utilisation de ces signatures.
De plus, avec la refonte récente du RIHN, si on reste dans ce système plus de 5 ans, ce qui est le cas des signatures moléculaires qui y sont depuis plus de dix ans, une décote de 20% de la prise en charge sera appliquée tous les ans. Cela nous préoccupe beaucoup car cela veut dire qu’en 2026, ce ne se sera pas 50 % du coût qui reviendra à l'établissement, mais un peu plus chaque année. Et si la Haute Autorité de santé ne reconnaît toujours pas la valeur de ces études ou décide de ne pas prendre en compte des études de vraie vie qui ont été réalisées en dehors de France, ces signatures ne seront plus du tout remboursées ou seront entièrement à la charge des établissements de santé. En tant que directrice d'établissement d'un centre de lutte contre le cancer, c'est quelque chose qui me préoccupe beaucoup. »
C’est une grande inégalité et perte de chance pour les patientes ?
« Cette situation crée de fortes inégalités car certains établissements doivent aujourd’hui, pour des raisons économiques, limiter la prescription des tests moléculaires de façon à ne pas avoir à les prendre en charge. De plus, en France, la situation est telle que même si une patiente veut acheter son test, les centres ne peuvent pas lui facturer. En fonction du centre dans lequel elle est soignée, elle se retrouve prise en otage de ce système selon que le centre a les moyens ou non de prendre en charge cette signature moléculaire. »
Au vu du nombre de femmes concernées et du coût d'une signature génomique par rapport au coût d'une chimiothérapie qu'on aurait pu éviter, pourquoi tant d’hésitation ?
« C’est vraiment typique aux tests moléculaires et au système français. Nous avons énormément de chance car nous avons pour l’instant un accès très large aux médicaments et à toutes les thérapies nouvelles, mais comme il ne s’agit pas des mêmes postes de financement pour les signatures moléculaires, on a toujours l'impression que cela va entraîner un coût supplémentaire dans le budget de la Sécurité sociale, alors que parfois il faut dépenser un peu pour économiser des sommes beaucoup plus importantes. Entre un test qui coûte 1 850 € et le coût global d'un traitement par chimiothérapie (venue à l'hôpital de jour, transports, traitements, etc.) qui avoisine les 50/60.000 euros, l’écart est vraiment conséquent.
Et puis, éviter une chimiothérapie inutile est majeur à l'échelle individuelle et n'a pas de prix. Je me bats pour cela depuis de très nombreuses années et il faut reconnaître à ce nouveau rapport de sérieux progrès, en particulier dans la population des patientes avec un envahissement ganglionnaire. Il faut tout de même écouter et prendre en compte les évidences cliniques. J'avoue que je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi la France est l’un des rares pays européens, en tout cas le seul des big 5, à ne pas rembourser ces tests moléculaires. »
Comment arranger les choses ?
« Au niveau d’Unicancer, et avec les associations de patientes, nous avons alerté plusieurs fois la Haute Autorité de santé (HAS) et nous essayons de travailler ensemble pour trouver des solutions. Des études prospectives comme TAILORx et RxPONDER ont été menées avec Oncotype DX® pour les patientes avec ou sans envahissement ganglionnaire tout comme l’étude MINDACT avec MammaPrint®. Mais ces études sont très couteuses et les firmes qui commercialisent ces tests n'ont pas les moyens des grandes firmes pharmaceutiques. D'autre part, il faut des milliers de patientes pour obtenir des résultats statistiquement fiables, ce qui nécessite plusieurs années. Mettre en place un nouvel essai clinique aujourd’hui n'a aucun sens. On ne peut pas attendre dix ans pour avoir des résultats, si tant est qu'on puisse financer de telles études.
La HAS nous demande donc de présenter des études françaises solides de vraie vie, mais là aussi, qui les finance ? Nous nous trouvons vraiment une situation compliquée. Les quatre firmes qui commercialisent ces différentes signatures ont déposé un dossier le 12 septembre dernier auprès de la Haute Autorité de santé, afin de demander un remboursement pour la population sans atteinte ganglionnaire. Il faudrait en réalité que nous exploitions déjà les nombreuses données médico-économiques dont nous disposons pour nos patientes et qui vont vraiment dans le sens de la prescription de ces signatures génomiques. »
Espérons que votre mobilisation et celle des professionnels de santé et des associations de patientes permettront de sortir de cette exception française.
Interview réalisée à l'occasion du congrès de la SFMPP (Société Française de Médecine Prédictive et Personnalisée), octobre 2024.